RENDRE LES CONVENTIONS CITOYENNES POUR LE CLIMAT ENCORE PLUS DéMOCRATIQUES

Du fait de son profond impact sur les modes de vie, la transition écologique ne se fera pas sans l'assentiment des citoyens. L'enjeu des conventions citoyennes pour le climat (CCC) n'est donc pas seulement climatique, il porte aussi sur la construction de l'acceptabilité sociale des politiques publiques.

Depuis l'expérience de la Convention citoyenne nationale pour le climat, les collectivités décentralisées se sont saisies de cet outil de démocratie délibérative jusqu'alors inédit en France. Après la région Occitanie, la métropole de Nantes et la communauté d'agglomération francilienne Est ensembleGrenoble-Alpes Métropole a organisé, de mars à octobre 2022, sa propre convention locale. Les cent citoyens tirés au sort ont rendu 219 propositions prioritaires visant notamment à réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. Elles seront soumises au vote du conseil métropolitain le 28 avril.

Bien que chaque Convention citoyenne ait ses spécificités, l'expérience conduite à Grenoble permet d'ores et déjà de dessiner quelques pistes quant aux conditions facilitant leur réussite.

Être créatifs sous la contrainte

Afin d'assurer l'indépendance des travaux de la Convention, la métropole a désigné un comité opérationnel (COMOP) chargé de l'organisation et du pilotage de ces travaux. Ses dix membres, principalement issus du monde académique, sont les auteurs de cet article. Nous avions pour missions de superviser le tirage au sort des citoyens (en établissant les critères de représentativité adéquats), d'élaborer le programme et les méthodes de travail, et de garantir la qualité et la pluralité des informations données aux citoyens.

Cette expérience nous a conduits à constater que l'ingénierie démocratique est toujours contrainte. Bien que le COMOP ait été mis en place pour assurer l'indépendance du travail de la CCC par rapport à son commanditaire, notre latitude a été restreinte par le cadre décidé en amont par les élus ou les services de la métropole (mandat de la Convention, organisation du tirage au sort, choix des cabinets de conseil, calendrier de travail...). Dès lors, notre objectif a été d'« être créatifs sous la contrainte ».

Recruter des citoyens « représentatifs »

La sélection des citoyens était un enjeu crucial pour garantir que les propositions rendues ne soient pas le fait d'un groupe dont le recrutement aurait été, intentionnellement ou non, biaisé. Prenant en compte les critiques formulées à l'égard de la CCC nationale, nous avons décidé d'ajouter aux quotas classiques (origine géographique, sexe, âge, niveau d'instruction) un critère relatif à l'importance que les citoyens appelés accordaient aux questions environnementales avant le début de leurs travaux. Notre objectif était de minimiser les biais d'autosélection qui auraient été liés au thème de la Convention. Ce choix a permis de garantir que le groupe des 100 ne formait pas un groupe de militants de l'écologie politique, mais bien un ensemble de citoyens représentatifs de la diversité sociale et territoriale de la métropole.

Formuler un mandat clair

Le mandat confié à la CCC par les élus de la Métropole était composé de deux questions longues et pour le moins techniques. La complexité de ce mandat rendait difficile son appréhension par les citoyens. L'une de nos premières décisions a donc été de le reformuler dans des termes qui nous ont semblé plus accessibles :

« Quelles actions, équitables pour toutes et tous, mettre en place au niveau de la métropole grenobloise pour :

● Diviser par 2 d'ici 2030, par rapport à 2005, nos émissions de gaz à effet de serre liées à nos activités, modes de vie et de consommation, tout en protégeant l'environnement dans sa globalité ?

● S'adapter aux conditions environnementales en évolution, tout en poursuivant les efforts drastiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur le temps long ? »

Cette reformulation a notamment permis d'intégrer le thème de l'adaptation du territoire au changement climatique, qui n'apparaissait pas dans la formulation initiale.

Privilégier un processus ascendant

L'une des missions du COMOP était de déterminer la progression méthodologique du travail des citoyens. Le choix d'un travail en trois phases - information, propositions-délibération, décision - s'est imposé. La phase d'information s'est révélée importante, le COMOP ayant pour rôle de mettre à disposition des citoyens des informations scientifiquement fiables sur les effets du changement climatique ; le choix des experts sollicités pour intervenir devant les citoyens a donc constitué un point particulier d'attention.

Pour la deuxième phase, nous avons décidé de faire d'abord travailler les citoyens sur la manière dont ils se projettent sur le territoire métropolitain à l'horizon 2050, ce qui les a conduits à adopter une « Vision bas carbone ». Ils ont ensuite réfléchi aux leviers pour parvenir à la réalisation de cette vision, puis aux actions concrètes devant être mises en œuvre par la Métropole dans le cadre de ces leviers. Au total, la Convention a adopté une vision à l'horizon 2050 (qui se rapproche des scénarios « Génération frugale » et « Coopérations territoriales » de l'ADEME), 53 leviers d'action (regroupés en 9 thématiques) et 219 actions prioritaires.

Il était essentiel pour nous que les citoyens soient à l'origine des recommandations faites. Cette position a été source de tensions. Il avait en effet été envisagé que les citoyens travaillent à partir de propositions d'actions faites par les services de la Métropole et/ou par des experts extérieurs ; les citoyens auraient alors eu pour rôle d'établir des priorités entre ces actions, en fonction de ce qu'ils auraient considéré comme acceptable, urgent ou au contraire secondaire. Le COMOP a écarté cette méthode de travail et souhaité que les membres de la Convention puissent eux-mêmes faire des propositions d'actions, suivant un processus ascendant, ou bottom-up, conforme à l'esprit du processus délibérant. Au total, les citoyens ont déposé pas moins de 350 propositions durant l'été, sur une plate-forme collaborative mise à leur disposition.

Prévoir un calendrier moins serré

Ce choix d'un processus bottom-up a toutefois eu des répercussions sur l'organisation du travail des deux dernières sessions - et il faut sans doute regretter la rapidité avec laquelle les discussions et les votes des recommandations ont dû se dérouler. La construction du calendrier en 5 sessions de travail, contre 7 week-ends pour la Convention nationale, n'a pas permis d'approfondir la réflexion collective sur les nombreuses propositions soumises par les citoyens pendant l'été. L'idée d'une session supplémentaire avait été évoquée, mais les contraintes logistiques et de calendrier n'ont pas permis de la faire aboutir.

Au final, il est sans doute possible de nous reprocher, comme au Comité de gouvernance de la CCC nationale, « une gouvernance et des règles du jeu définies de manière itérative ». Néanmoins, les 100 citoyens impliqués sont sortis de cette expérience conscients et mieux informés des enjeux climatiques : le groupe est devenu porteur d'une expertise partagée. Le choix d'un processus bottom-up a sans doute permis une meilleure appropriation des propositions par les citoyens, et explique peut-être que plusieurs d'entre eux soient désormais ambassadeurs de ces propositions auprès des communes et de la population. Sur ce point, le succès de la Convention ne se mesure pas seulement à l'aune des mesures proposées. Le rôle que se sont approprié certains citoyens dans la diffusion et le suivi de la mise en œuvre de leurs propositions est tout aussi important.

Demeure la question de l'usage que feront les autorités métropolitaines de ces recommandations. Le Président de la Métropole, Christophe Ferrari, s'est engagé à ce qu'elles soient toutes soumises au vote du conseil métropolitain, le 28 avril prochain. Celles qui feront l'objet de dissensus entre les élus pourraient ensuite être soumises à votation citoyenne. L'aventure démocratique se poursuit donc.

Par Thierry Ménissier, Professeur de philosophie politique, Grenoble IAE Graduate School of Management ; Claudia Teran-Escobar, Post-doctorante CNRS, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes (UGA) ; Florent Gougou, Enseignant-chercheur en science politique, Sciences Po Grenoble - UGA ; Olivier Champagne, Post-doctorant, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes (UGA) ; Paulette Duarte, maître de conférences HDR en urbanisme, Université Grenoble Alpes (UGA) et Sabine Lavorel, Maître de conférences en droit public, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article a également été co-rédigé par : Juliette Blanchet, statisticienne du climat, Chargée de recherche CNRS, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes ; Xavier Fain, paléoclimatologue, Chargé de recherche CNRS, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes ; Sabine Lavorel, Maître de conférences en droit public, Centre de Recherche Juridique, Université Grenoble Alpes ; Martin Ménégoz, climatologue, Chargé de recherche CNRS, Institut des Géosciences de l'Environnement, Université Grenoble Alpes ; Corinne Trommsdorff, PDG de l'entreprise Water Cities

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