COVID-19: LE LABORATOIRE SANOFI DE RETOUR DANS LA COURSE CONTRE LE CORONAVIRUS

Après avoir raté le coche de la première vaccination, et alors que l'offre est déjà pléthorique, le laboratoire français mise sur une technologie "classique". Loin de la chasse aux variants et de l'ARNm.

Dans cette pharmacie de l'ouest parisien, les patients ne se bousculent plus pour se faire vacciner contre le Covid-19. Rien n'y fait, pas même l'arrivée d'un petit nouveau dans l'arsenal des doses de rappel: le VidPrevtyn Beta, vaccin à protéine recombinante développé par Sanofi avec le britannique GSK, disponible depuis le 22 décembre dernier. "Il n'a pas beaucoup de succès, confie la pharmacienne, qui en a commandé dès qu'il a été autorisé en France, dans la foulée du feu vert de la Commission européenne en novembre. Les personnes initialement vaccinées avec celui de Pfizer ou un autre préfèrent faire leurs rappels avec le même produit."

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De fait, le vaccin de Sanofi a franchi la ligne d'arrivée deux ans après ses concurrents. En tête desquels les redoutables technologies à ARN messager des américains Pfizer - allié à BioNTech - et Moderna, qui ont décroché la timbale en écoulant leurs doses respectivement pour 34 milliards de dollars et 18,4 milliards sur la seule année 2022 (chiffres les plus récents, annoncés lors des résultats 2022). Le fleuron tricolore, qui a abandonné son projet de vaccin à ARNm en cours de route, et accumulé des retards sur son antidote développé avec GSK à cause de déboires techniques, a raté le coche de la première vaccination. Si bien qu'en mai dernier, le président du conseil d'administration Serge Weinberg admettait que le groupe avait subi "un échec" dans la course mondiale aux vaccins anti-Covid, "extrêmement dommageable pour la santé publique". 

Grâce à leurs technologies à ARNm, Pfizer et Moderna ont décroché la timbale en 2022 et ont lancé de nouvelles formulations ciblant le variant omicron.

Un vaccin avec une formulation plus large

Mais l'heure n'est plus au mea culpa. Après le tocsin, c'est le clairon qui résonne au sein des troupes de Sanofi, ragaillardies par la commande européenne de 70 millions de doses de VidPrevtyn Beta. Dont 19,5 millions pour la France, qui en a reçu 7,3 millions au 15 janvier, le reste devant être livré durant le premier trimestre 2023. Une demande d'autorisation auprès de la FDA (l'agence américaine des médicaments) est en cours. "Il y a un peu de fierté retrouvée, avouait Paul Hudson, le directeur général du groupe, le 19 janvier, à Franceinfo. Ça a pris trop de temps, c'est sûr. Est-ce qu'on le regrette? Absolument pas."

La machine est lancée: Sanofi produit l'antigène sur son site de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), GSK, l'adjuvant sur plusieurs sites européens. Le duo place ses pions sur les prochaines campagnes de rappel. Mais là encore, Pfizer et Moderna ont un coup d'avance. Ils ont déjà lancé de nouvelles formulations ciblant Omicron, resserrant leur mainmise sur le marché. "Notre objectif reste de suivre au quotidien l'évolution du virus, d'être vigilant quant à l'émergence de variants et d'adapter nos vaccins si cela s'avère nécessaire", déclare-t-on chez Moderna. Face à ses rivaux, Sanofi assume d'avoir pris le contre-pied. "Nous avons opté pour une formulation qui offre une protection plus large que les vaccins à ARNm", explique Thomas Triomphe, patron de la division Vaccins. Dans les études, le vaccin à protéine recombinante a induit une réponse immunitaire plus forte contre la souche originelle du virus, mais aussi contre les sous-lignages d'Omicron.

Cette technologie "classique", qui provoque aussi moins d'effets secondaires, pourrait se révéler un atout, alors que la campagne pour la quatrième dose patine. En France, l'un des pires élèves européens, 19,3% des 60-79 ans et 22,2% des plus de 80 ans avaient reçu un rappel adapté au variant omicron mi-janvier, selon Santé publique France. Trop peu pour la Haute autorité de Santé, qui voit l'arrivée de Sanofi comme "efficace et utile pour répondre aux besoins des personnes réticentes aux vaccins à ARNm et à celles qui présentent une contre-indication". Beau joueur, Pfizer salue aussi la percée d'une proposition différente: "La diversité d'acteurs permet de répondre à l'enjeu de santé publique majeur, en proposant des solutions efficaces à tous les profils de patients." 

Mais un marché déjà bien fourni

Reste qu'il ne sera pas facile pour Sanofi de se tailler une place sur un marché qui rétrécit à mesure que la couverture vaccinale progresse. D'autant plus qu'un autre vaccin à protéine recombinante, de Novavax, est disponible en première injection. "L'offre pléthorique de vaccins approuvés et la prédominance du variant omicron pourraient mitiger la demande immédiate pour ce vaccin", tempèrent les experts du cabinet Cowen dans leur dernier panorama sur l'industrie pharmaceutique. Thomas Triomphe le reconnaît: les réfrigérateurs des pharmacies sont pleins. "Les commandes prises pour 2022 et 2023 qui n'ont pas été écoulées sont reportées sur 2024 et 2025."

Résultat, au 19 janvier, les répartiteurs pharmaceutiques, qui ont commencé à distribuer le vaccin de Sanofi la troisième semaine de décembre, n'en avaient livré que 2.187 boîtes, soit 218.700 doses. Seules 2.000 pharmacies (sur 21.000) en avaient commandé. Le conditionnement du VidPrevtyn Beta en grosses boîtes de 10 flacons, équivalent à 100 doses, est "un frein supplémentaire", relève Pierre-Olivier Variot, pharmacien et président du syndicat professionnel Uspo.

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Le risque d'un flop commercial pour un vaccin vendu aux pays européens autour de 10 euros, deux fois moins que Pfizer (19,50 euros) et de Moderna (21,50 euros), n'a pourtant jamais fait douter Sanofi, qui ne communique pas sur ses investissements marketing. Le laboratoire préfère mettre en avant "l'enjeu de santé publique" et rappelle son "engagement historique" dans les grandes campagnes de vaccination, contre la polio ou la grippe, sur laquelle il est le leader mondial.

"Le groupe n'avait aucune raison de ne pas aller jusqu'au bout, développe Martial Descoutures, analyste pour Oddo BHF. Le vaccin a démontré dans les essais qu'il était efficace et sûr, il a été précommandé en Europe dès le départ, et les coûts de développement et de lancement ont été soutenus par des aides publiques conséquentes." Parmi elles, la puissante Biomedical Advanced Research and Development Authority américaine a signé un chèque de 2,1 milliards de dollars fin 2020.

La grippe, l'autre bataille de l'ARNm 

Humilié par son échec à sortir un vaccin anti-Covid à ARN messager, Sanofi ne lésine pas sur les moyens pour raccrocher les wagons sur cette innovation incontournable depuis la pandémie. Son ambition? Développer six candidats-vaccins à ARNm d'ici à 2025. Le laboratoire a d'abord racheté deux biotechs américaines spécialisées - Tidal Therapeutics (470 millions de dollars) et Translate Bio (3,2 milliards) - courant 2021. En mars 2022, il a décidé de mettre un milliard d'euros d'investissements sur la table en France d'ici cinq ans, jusqu'à 1,6 milliard à l'horizon 2030.

Une nouvelle installation entièrement digitalisée devrait être opérationnelle fin 2025 à Neuville-sur-Saône, près de Lyon. Parmi ses cibles thérapeutiques, l'acné, l'infection à chlamydia ou le virus respiratoire syncytial (bronchiolite) pour personnes âgées. Et bien sûr la grippe, pour laquelle il devrait annoncer des premiers résultats d'ici à la fin juin 2023. "Sanofi est le champion mondial de la grippe. Sa terreur, c'est de voir Moderna et Pfizer rafler ce créneau", décrypte un ancien cadre du groupe. En jeu, un marché qui lui a rapporté 2,6 milliards d'euros en 2021. Selon Wolfe Research, "l'efficacité des vaccins antigrippaux actuels varie de 30 à 60%, ce qui laisse beaucoup de marge d'amélioration". Une place à prendre pour Pfizer, qui planche sur un vaccin ARN antigrippal depuis 2018, et Moderna qui promet le sien pour 2023.

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